En 1920, une papeterie s’installe à Éragny, sur un terrain idéalement situé à proximité de la gare et de l’Oise. C’est la seule et toute première usine de ce village alors rural, mais elle préfigure, sans le savoir, les desseins futurs des urbanistes de Cergy-Pontoise. Ils désignent en effet cette commune, avec sa voisine Saint-Ouen l’Aumône, comme pôle de développement économique, en raison de sa situation idéale aux portes de la ville nouvelle, depuis Paris. Clin d’œil de l’histoire : l’usine a fermé en 1971, à l’aube de la réalisation de l’agglomération.
Production haut de gamme
Une fois les équipements vendus, l’établissement public d’aménagement de Cergy-Pontoise acquiert les locaux. Fabricant des papiers dits couchés, parce qu’enduits d’une couche ultra fine de kaolin, gage d’une reproduction de haute qualité, notamment d’œuvres et livres d’art, l’usine dispose d’atouts architecturaux : hall de séchage en voile de béton, chaufferie en brique et salle de fabrication sous verrière, rehaussée pour loger trois étages de calandres (rouleaux servant à « glacer » le papier) et 300 ouvriers, au plus fort de l’activité, qui a pris son essor à la Libération. Un quart de siècle plus tard, quelle reconversion pour cette friche industrielle ? Plusieurs projets se succèdent sans aboutir.
Le rideau s’ouvre
En 1978, c’est le metteur en scène Hubert Jappelle qui frappe les trois coups d’une nouvelle ère. En quête d’un lieu de répétition, il installe sa compagnie dans l’ancienne papeterie, avec l’accord de la ville nouvelle qui réalise les travaux nécessaires. Puis l’artiste et sa troupe créent, sur place, le Théâtre de l’Usine en 1980. Rénové de fond en comble par l’agglomération en 1994, puis agrandi en 2011, le Théâtre de l’Usine a su attirer un large public autour de ses créations, de spectacles invités ou montés avec des partenaires culturels locaux.
Bonjour l’Espace
Mais le théâtre n’occupe qu’une petite partie de l’ancienne usine. Reste l’immense salle des calandres, qu’on parle de démolir. En 1993, on détruit une tour de séchage attenante, mais deux travées de la salle de fabrication sont conservées. L’Espace des Calandres est inauguré en 1998, accueillant expositions, vœux du maire, Forum des associations et autres « Fête du jeu », sous les jeux de lumière naturelle offerts par son architecture. Dernier impact, non des moindres, de l’usine sur la vie municipale : la mairie actuelle, installée dans l’ancienne maison des directeurs de la papeterie. Là aussi, l’histoire bégaie, car c’était la demeure de l’ancien maire, achetée par la papeterie pour loger ses dirigeants…
Grande & petites histoires
Jacqueline Molinier-Roussel Présidente de l’association Mémoires d’Éragny
L’association a recueilli des témoignages de vie ouvrière à la papeterie. Ainsi, les bains de kaolin pouvaient former, en séchant, des « boutons » sur les feuilles de papier. Les ouvrières devaient donc trier. « Si on oubliait d’enlever une feuille avec un bouton, la punition c’était un jour de mise à pied. » Une femme, dont la mère avait commencé à la papeterie à 13 ans, rapporte : « Elle montait sur un petit banc pour compter les feuilles. Si elle ne travaillait pas bien, la contremaîtresse la giflait ». Quant au poids à soulever, il laisse songeur : « On prenait des paquets de 500 feuilles, en une seule fois, pour respecter le rendement. Selon l’épaisseur du papier, cela pesait de 25 à 35 kilos. À la fin de la journée, vous aviez porté des tonnes ». Sans parler des aléas climatiques : « Par temps sec, des humidificateurs envoyaient comme un brouillard sur le papier, on n’aimait pas ça ».