Né en 1963, Patrick Neu vit et travaille dans le département de la Moselle. Formé à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1995 et de la Villa Kujoyama à Kyoto en 1999. Son processus créatif implique une grande patience et beaucoup de minutie. Ses œuvres, qui requièrent des gestes précis, relèvent souvent de l’exploit technique. Responsable de création aux Cristalleries Saint-Louis, il détourne matériaux et savoir-faire traditionnels pour un usage inédit.
Un élément caractéristique de son travail fait particulièrement sens à Maubuisson, dans cet univers où la vie ne s’écoulait pas de la même manière qu’ailleurs : le temps. Du temps, il lui en faut pour réaliser ses œuvres qui relèvent souvent d’un artisanat laborieux, quand le temps lent, arrêté, voué à la prière et à l’adoration, était celui de ces femmes qui vivaient là jusqu’à leur mort, ayant donné leur existence à Dieu.
De l’art du paradoxe
Armure en cristal et en plumes
Le sens de circulation de l’abbaye ayant été repensé, la visite de l’exposition commence dans la salle du parloir. S’inspirant de ce lieu évoquant l’enfermement, le renoncement au monde et le silence, Patrick Neu transgresse les codes et oppose la fragilité des matériaux à la force que représentent les objets. Il présente dans cette salle une incroyable camisole de force faite en ailes d’abeilles et une armure en cristal et en plumes exposée à la manière d’un gisant. Ces deux pièces vestimentaires évoquent le combat et la résistance en écho aux religieuses qui elles aussi renonçaient à l’habit civil. Armure et camisole, censées protéger, perdent ici leur fonction du fait de la fragilité des matériaux qui les constituent. Plus loin, un crâne à qui l’on prêterait l’endurance du bronze se révèle être en cristal noir, tandis qu’une sculpture en cire d’abeille de mains, évocation de protection et réconfort, enserre des tessons de bouteille.
Crâne en cristal noir
Suspendu sous la voûte en arc brisé du passage aux champs attenant, une incroyable pièce qui est un tissage de cheveux de 80 x 500 cm semble flotter dans l’espace. Cette œuvre fait référence aux moniales qui, après des mois de noviciat, prononçaient leur vœu et « prenaient le voile ». Sous celui-ci, les cheveux, symbole de séduction, étaient tondus ou coupés ras, car elles renonçaient aussi à leurs attributs féminins. C’est pour refaire un voile « en cheveux » hommage aux moniales qui tissaient et travaillaient patiemment à leur ouvrage, que l’artiste s’est lancé dans cette folle entreprise qui l’a amené à tisser des dizaines de carrés de vrais cheveux de 20 cm de côté, assemblés par un subtil jeu de couture. Mais alors que le voile est censé couvrir et cacher, celui de Patrick Neu, transparent, flotte dans l’espace et devient presque invisible, impalpable.
Péchés capitaux
Salle des religieuses, l’artiste expose des vitrines en verre qu’il a noircies de fumée pour y reproduire des œuvres évocatrice des péchés, du Jardin des délices de Jérôme Bosch à La Tentation de saint Antoine de Martin Schongauer. Il applique la suie à l’aide de bougies à l’intérieur des vitrines et dessine sur sa surface des œuvres d’une incroyable virtuosité, « gravées » au pinceau très fin ou à l’aiguille. Ici, ce n’est plus le contenu de la vitrine que le visiteur observe, mais ses parois graphiques et ses apparitions tracées dans la suie.
Gravure dans le noir de fumée
Et ruche capitulaire
Patrick Neu est fasciné par le monde complexe et organisé des abeilles. À l’image de celles-ci et de leur reine, la vie des religieuses s’organisait autour d’une abbesse qui prenait les décisions et faisait régner l’ordre. L’artiste a réalisé une modélisation 3D en bois de tilleul de la salle voûtée du chapitre à l’échelle 1/10 dans laquelle un apiculteur a déposé deux essaims d’abeilles mellifères. Les abeilles et leur reine se sont saisies de cet espace, transformant la structure par leur activité, la remplissant d’alvéoles en cire couvertes de propolis. Cette « ruche » hybride désormais vidée de ses habitantes et des couvains et à l’odeur saisissante de miel et de cire est visible dans les anciennes latrines de l’abbaye. À découvrir également, dans l’antichambre, un film documentaire sur le montage de l’exposition.
Beauté, poésie, fragilité : toutes les qualités prêtées à l’artiste se retrouvent dans cette exposition, visible jusqu’au 17 mars. À noter que les œuvres étant exposées sans cartel, un carnet de visite est proposé au visiteur. Mais libre à chacun de se laisser porter par son imaginaire et d’avoir sa propre lecture.