Au début de la Ville nouvelle, l’enjeu était de construire des logements, mais pas seulement. Il fallait aussi, dès l’arrivée des premiers habitants en 1971, créer une vie sociale à partir de zéro. Des ateliers communautaires proposaient ainsi aux habitants du matériel et des conseils pour aménager leur logement. Ces lieux de socialisation ont vu naître de nombreuses initiatives collectives. « C’est dans le cadre de ces ateliers que j’ai mobilisé, en 1976, des architectes et des habitants afin de répondre à un concours de maisons de ville lancé par la Ville nouvelle. Nous avons perdu le concours, mais nous avons gagné un terrain pour construire 20 maisons« , raconte Pierre Lefèvre, architecte à l’initiative du projet de la Hayette à Jouy-le-Moutier et auteur de L’habitat participatif (Editions Apogée, 2014).
Concertation autour du projet de La Hayette
Soyez réaliste, demandez l’impossible !
Pour les précurseurs de l’habitat participatif, l’enjeu est de promouvoir un nouveau modèle. Celui-ci suppose de concevoir puis de gérer ensemble son habitat, mais aussi de trouver un juste équilibre entre espaces privés (chacun vit chez soi) et espaces partagés (jardin, atelier, buanderie…). « Nous voulions participer à une aventure humaine, raconte Philippe Debuigne, un des premiers habitants de la Hayette. Très vite, le groupe s’est structuré autour d‘une idée forte : renoncer à l’individualisme du lotissement pavillonnaire. Notre parti-pris : ni clôture, ni garage ». Le projet donnait la liberté à chaque famille de choisir son architecte. C’est ainsi que deux maisons ont été conçues d’après les plans de Jean Nouvel. L’architecte avant-gardiste dessine des lignes très modernes pour l’époque. En imaginant pour l’un des projets « un cube tout con », l’homme excelle déjà dans la simplicité des formes… et le sens de la formule !
La construction du lotissement La Hayette à Jouy-le-Moutier, à la fin des années 70
L’imagination au pouvoir
A la même époque, deux autres projets germent sur Jouy-le-Moutier. L’architecte Lucien Kroll, l’un des lauréats du concours des maisons de ville lancé en 1977, se voit confier la réalisation du quartier des Vignes Blanches. Un projet de 150 maisons situé avenue du Vast. Kroll incitait les participants à modifier les plans. « Mes dessins sont des modèles à casser », leur disait-il. Un peu plus tard, un peu plus loin, neuf familles se réunissent autour d’un autre projet rue des Vignes Blanches. Leur crédo : s’impliquer, s’autogérer, partager des valeurs communes… En somme, ouvrir une nouvelle voie. Une utopie réaliste. Pour preuve : sur les neuf familles, huit sont encore là. Une longévité qui laisse… baba. Trente ans plus tard, ces vétérans servent d’exemple. Atonix, le projet d’habitats groupés, au sein de l’éco-quartier du Bois d’Aton à Courdimanche, sortira ainsi de terre au printemps prochain. En digne héritier, Atonix porte les valeurs de ces ainés : écologique, intergénérationnel et participatif. Sous les pavés, un bout de plage…
Grande & petites histoires
Michèle Drevet, habitante de l’habitat groupé autogéré L’Habitat, rue des Vignes Blanches
« À l’époque, initier un tel projet relevait de la débrouille. Il fallait dénicher un terrain, constituer un groupe, définir un cadre juridique, trouver un architecte… Nous avons œuvré en totale liberté. Avec mon mari, nous voulions faire l’expérience d’une ville nouvelle et d’une autre forme d’habitat. Nous souhaitions nous impliquer dans la conception et la gestion, partager des valeurs communes, initier une démarche environnementale… À l’époque, nous passions pour des originaux. Et tant mieux ! L’édifice, qui compte neuf logements, a été entièrement conçu par ses habitants. L’architecture est innovante car au sein du même bâtiment sont imbriquées neuf petites maisons indépendantes. Nous partageons le jardin, un atelier de bricolage, une buanderie, une salle commune – qui servait de salle de jeux pour les enfants – et un studio destiné à recevoir les proches. Mais attention, ici personne ne vit en autarcie. Nous avons tous une vie en dehors du groupe. Favoriser le lien social sans affecter la vie privée est un gage de notre longévité ! ».