Mal-inscription et abstention.
« Tout est parti de Cergy-Pontoise », indique Céline Braconnier en souriant. « C’était en 2013, lors d’un colloque sur la démocratie organisé par le Théâtre 95. Une collaboratrice de François Hollande était dans la salle… ». Ce jour-là, Céline Braconnier parle des résultats des travaux qu’elle mène avec son collègue Jean-Yves Dormagen sur la participation électorale et ses liens avec l’inscription sur les listes. Leurs études localisées (Saint-Denis et Cergy notamment) puis menées à l’échelle nationale avec l’INSEE sur les élections présidentielles et législatives de 2012 l’ont convaincue qu’il existait un lien entre abstention, non-inscription et « mal-inscription » sur les listes électorales. Pour les personnes inscrites là où elles résident effectivement, l’abstention systématique était de 10%. Mais cette abstention montait à 15% pour celles inscrites ailleurs dans leur commune et même à 28% pour celles inscrites dans une autre commune. « La mal-inscription est un facteur essentiel d’explication de l’abstention aux présidentielles de 2012 » explique Céline Braconnier. La sociologue estime qu’elle a touché cette année-là plus de 9 millions de personnes.
L’obstacle administratif
A côté des déterminants sociaux et démographiques qui éloignent ou rapprochent des bureaux de vote – on participe plus quand on est diplômé, aisé financièrement et senior – Céline Braconnier identifie que la mal-inscription est produite par l’obstacle de la procédure administrative obligatoire. Cette difficulté à accomplir l’inscription auprès de sa mairie affecte beaucoup les populations les plus en difficulté, mais aussi l’ensemble des catégories mobiles telles les étudiants ou les cadres. Pour tenter d’y remédier, on peut étendre l’inscription d’office et surtout laisser ouvertes les inscriptions jusqu’au moment de la campagne électorale. L’enjeu démocratique y sera infiniment plus perceptible qu’en décembre de l’année précédente…
Des campagnes de proximité
Suite au colloque, l’expertise de Céline Braconnier a été sollicitée par la Présidence de la République. Elle sera ensuite conduite à accompagner le travail des parlementaires chargés de la proposition de loi, jusqu’à son adoption l’été dernier. Pour une sociologue, c’est une chance dont elle a conscience : « Il est exceptionnel que des recherches en sciences sociales éclairent ainsi les représentants politiques et se traduisent en réforme ».
Mais Céline Braconnier ne s’en arrête pas là. « Cette réforme qui viendra en 2019 doit s’accompagner de campagnes de proximité car, dans une société marquée par la mobilité et la dématérialisation des procédures, le contact physique est essentiel pour lutter contre les inégalités de participation électorale ». Avec, à l’appui, l’expérimentation qu’elle a mené cette année avec La Poste qui montre que les personnes les plus en difficulté ou celles qui déménagent souvent, peuvent, si elles bénéficient d’un appui de proximité par un contact direct avec leur facteur, surmonter certains déterminants sociaux et rejoindre les inscrits sur les listes électorales de leur commune de résidence.
Les inaudibles, Sociologie politique des précaires. Sous la direction de Céline Braconnier et Nonna Mayer, 2015