Si l’hygiène relève désormais de la sphère privée, elle a longtemps été une affaire publique. Les premiers bains publics apparaissent en Grèce au VIe siècle avant notre ère et chacun se souvient des images des thermes romains dans son livre d’histoire. Mais, depuis l’Antiquité, l’hygiène n’a plus guère progressé. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que se développe un puissant courant hygiéniste. L’urbanisation, l’afflux dans les villes de populations pauvres et la volonté de lutter contre les maladies transmissibles en font alors une grande cause de santé publique.
Des réserves bien employées
À l’époque, les Caisses d’épargne ont l’obligation d’accumuler des réserves pour garantir leurs opérations. Soucieuses de leur mission sociale, elles vont alors s’en servir pour financer des logements bon marché, des œuvres d’assistance ou de bienfaisance et… des bains douches. Objectif : permettre aux classes populaires d’accéder à des rudiments d’hygiène, dans des conditions de confort inconnues jusqu’alors. Si, à Paris, les premiers bains douches à bon marché ouvrent le 20 mai 1899 – il y a foule pour l’inauguration -, ceux de Pontoise sont construits en 1913, à l’emplacement de l’ancien rempart et sur un site occupé jusqu’alors par un hangar. L’architecture est caractéristique de ces bâtiments utilitaires : un mélange de pierres meulières et de briques, un fronton en demi-cercle et qui proclame fièrement « Propriété de la Caisse d’épargne ». Et bien sûr, une stricte séparation des sexes : les hommes à droite et les femmes à gauche, comme dans tous les bains douches…
Le fronton des anciens bains douches de Pontoise © CACP
De la douche à la presse
Au début des années cinquante, la Caisse d’épargne se désengage des bains douches. Ceux de Pontoise sont rachetés en 1953 par la ville, qui leur conserve leur usage. Juste avant la vente, des ouvriers tentent d’effacer à l’acide la signature de la Caisse d’épargne, mais ils doivent y renoncer sous peine d’abîmer la mosaïque. À l’époque, l’établissement compte environ 300 usagers par semaine. Mais l’amélioration du confort des logements, qui s’accélère à partir des années 1960-1970, condamne peu à peu le lieu, qui cesse de fonctionner dans les années 80. La ville cherche donc diverses solutions pour reconvertir le bâtiment. Un exploitant propose d’y installer deux salles de cinéma, mais il exige que la commune garantisse les pertes ! D’autres solutions plus ou moins fantaisistes sont également évoquées : petite galerie commerciale, ajouts d’étages pour en faire un immeuble de bureau…
Finalement, Jean-François Dupaquier (voir encadré), qui vient de racheter le journal L’Écho régional, propose de reprendre les bains douches pour y abriter la rédaction et les services techniques. La ville refuse la vente, mais accepte d’accorder un bail de 60 ans. Les locaux entièrement réaménagés sur 350 m2 sont inaugurés en 1993. Depuis cette date, le cliquetis des claviers d’ordinateur a remplacé le ruissellement de l’eau, mais les bains douches affichent toujours fièrement leur vocation première sur le fronton.
Grande & petites histoires
Jean-François Dupaquier, ancien propriétaire de L’Écho Régional
« Les bains douches abritent aujourd’hui une vingtaine de salariés : les journalistes de L’Écho Régional – La Gazette du Val d’Oise, la partie technique et la régie publicitaire. Quand nous avons repris les locaux, il a fallu tout refaire et on n’a pu conserver que la façade. Le bâtiment était en effet compartimenté en une multitude de petites cabines de douche, Difficile d’y installer des journalistes ! J’aurai bien gardé une cabine témoin, mais cela n’a pas été possible, car il a fallu revoir aussi la hauteur des planchers. Quand la ville a repris le bâtiment en 1953, elle a également installé une salle de gymnastique dans l’entresol, qui existe toujours. À l’époque, les bains douches servaient aussi d’appui au patronage laïc. Tous les jeudis après-midi, le gardien – qui vivait avec sa femme et ses cinq enfants dans un petit logement de 50 m2 complètement saturé d’humidité – distribuait, pour le compte de la mairie, des morceaux de pain et des barres de chocolat aux gamins qui jouaient sur la place. Il y a avait aussi une petite blanchisserie derrière le bâtiment, qui servait au nettoyage des serviettes. Il y a cinq ans, les bains douches ont également servi de décor pour certaines scènes de Radiostars, un film avec Clovis Cornillac et Manu Payet, qui traite de la vie des animateurs radio ».