Annie Ernaux et les chalands d’Auchan

Publié le 1 mars 2017

Le Théâtre 95 présente Regarde les lumières mon amour, un texte d’Annie Ernaux mis en scène par Clotilde Moynot.

L’œuvre d’Annie Ernaux est très fortement marquée par une démarche sociologique qui tente de « retrouver la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle ». Pendant un an, elle a tenu le journal de ses visites à l’hypermarché Auchan de Cergy, cet espace familier où tout le monde (ou presque) se côtoie. Fondue dans la foule des clients, Annie Ernaux regarde autour d’elle et enregistre les détails du décor, les visages, les attitudes… « Souvent, j’ai été accablée par un sentiment d’impuissance et d’injustice en sortant de l’hypermarché, dit-elle. Pour autant, je n’ai cessé de ressentir l’attractivité de ce lieu et la vie collective, subtile, spécifique, qui s’y déroule. » De ce cahier d’observations est né Regarde les lumières mon amour*, un relevé empathique où l’auteur scrute ses contemporains, médite sur le geste consommateur, fustige la société d’abondance, ses trompe-l’œil et ses impasses.

Une affaire de femmes

Clotilde Moynot s’est emparée du texte d’Annie Ernaux, qu’elle met en scène au Théâtre 95. « Pour moi, adapter ce journal de bord à la scène est d’abord l’occasion de composer un album sensible d’une réalité rarement élevée à la dignité artistique, car affaire de femmes, et donc traditionnellement invisible. » explique-t-elle, alors que le Théâtre 95 programme la pièce le jour de la Journée de la femme. Le spectacle dresse un tableau de la façon dont les classes moyennes et populaires – clients et employés de ces hypermarchés – « font société » en ces lieux, intègrent leur logique commerciale, leurs usages. Un véritable travail d’anthropologue, quand Annie Ernaux pronostique : « Il se peut que cette vie disparaisse bientôt avec la prolifération des systèmes commerciaux individualistes, tels que la commande sur Internet et le “drive” qui, paraît-il, gagne de jour en jour du terrain dans les classes moyennes et supérieures ».

* Éditions du Seuil – Collection « Raconter la vie »

Annie Ernaux - La vie en surface

Avec une quinzaine de livres à son actif Annie Ernaux est considérée comme l’un des meilleurs écrivains français. Cergyssoise depuis 1975, elle connait par cœur le centre commercial des Trois fontaines. Dans Regarde les lumières mon amour, elle consigne ses observations effectuées à l’hypermarché Auchan de Cergy.

Comment vous est venu l’idée d’écrire sur Auchan ?
L’hypermarché est un grand rendez-vous humain, un spectacle. Déjà dans le livre Journal du dehors, je m’étais mise à décrire des choses vues dans les grandes surfaces. Quand on y songe, être dans un hypermarché c’est une façon de « faire société » avec ses contemporains. J’ai voulu raconter la vie dans ce livre, rapporter une réalité sociale qui apparaît très peu dans les médias et dans les discours des hommes et des femmes politiques.

On découvre, dans ce livre, que vous avez vos habitudes aux Trois Fontaines ?
Je connais ce centre commercial par cœur, je l’ai découvert en 1975 quand je me suis installée à Cergy. J’ai fréquenté les Trois Fontaines avec mes enfants, j’y ai mes repères, des souvenirs aussi. Comme beaucoup, je me suis appropriée ce lieu qui fait partie de ma vie quotidienne.

Quels sont les autres endroits que vous affectionnez à Cergy ?
J’aime me promener sur l’Axe Majeur : l’esplanade des douze colonnes et la passerelle rouge sont pour moi une belle réussite. De ma maison, je profite d’une large vue sur les étangs de la base de loisirs. Je n’imagine pas habiter ailleurs, mon histoire se confond maintenant avec celle de Cergy, et la richesse de ses 130 nationalités.
Source Cergy.fr