Pontoise est une terre de justice depuis le Moyen-Âge. Alors l’une des principales villes du royaume, elle exerce une justice royale, religieuse et communale. L’unification du système judiciaire sous la Révolution ne met pas un terme à son rayonnement. Au contraire ! En 1791, le Tribunal civil de Pontoise s’installe en lieu et place du Grand Vicariat – l’ancien tribunal ecclésiastique. Un symbole fort de la laïcité républicaine.
Les mille et une vies du tribunal civil
En 1886, le Tribunal civil déménage place Nicolas Flamel, dans un bâtiment imaginé par Albert Petit, l’auteur des Palais de Justice de Rambouillet et Mantes. De facture néo-classique, l’édifice accueille successivement le Tribunal d’instance, le Tribunal de commerce et la Cour d’assises. Faute de place, le Tribunal civil est transféré dans un nouveau bâtiment en 1934. L’œuvre des architectes Bader et Bénard est d’inspiration Art déco et rend hommage à l’école allemande du Bauhaus. Sa conception radicalement nouvelle de l’art et de l’architecture défend une esthétique simple, fonctionnelle et accessible au plus grand nombre. Face à une demande judicaire croissante, le tribunal est maintes fois agrandi et se voit même pousser deux ailes. Malgré les efforts consentis, le tribunal est encore trop petit. Victime de deux incendies, accidentel en 1986 et criminel en 2002, il sera finalement démoli.
La façade Art déco du tribunal édifié en 1934 place Nicolas Flamel
Autorité et transparence
Au début des années 90, le système judiciaire pontoisien est au bord de l’asphyxie : les procédures judiciaires se multiplient, le Palais de Justice vient de brûler, les juridictions sont dispersées et se profile la menace d’un transfert à Cergy… Face à ce constat, l’État lance la construction d’un bâtiment qui regrouperait toutes les juridictions, à la place de l’ancienne et lugubre prison. Le concours, lancé en 1997, est remporté par Henri Ciriani. Pourquoi lui ? Pour son audace, sa vision et sa capacité à prendre en compte les irrégularités du terrain (en forme de sablier) et les contraintes de la topographie (12 mètres de dénivelé) – sans parler des enjeux territoriaux, politiques et administratifs. Pour l’architecte, la réussite du projet « ne naît pas du lissage de ces contraintes mais de leur harmonieuse résolution« .
La cité judiciaire en construction, au début des années 2000
Inaugurée avec 18 mois d’avance
Les travaux commencent en 2002, mais l’incendie criminel du Palais de Justice va bousculer le calendrier. Fin 2005, la cité de béton, de verre et de bois est inaugurée avec 18 mois d’avance. Du jamais vu ! Elle regroupe la Cour d’assises, les tribunaux d’Instance, de Grande Instance, de Commerce, le Tribunal pour enfants et le Conseil des prud’hommes. Ce qui en fait le plus grand Palais de Justice d’Île-de-France (à l’exception de Paris) et sans doute l’un des plus salués : ses volumes, l’ampleur des espaces d’accueil, la qualité des matériaux… L’autorité et la transparence de la justice se traduisent par des formes pures, un mobilier imposant et de grandes baies vitrées. Un lieu monumental, mais aussi hospitalier où le justiciable ne se sent pas condamné avant d’avoir été jugé. Avec son belvédère, le monument s’impose dans le paysage pontoisien. Le pari est réussi : on y voit loin et on est vu de loin.
Grande & petites histoires
Pauline Prévot, animatrice de l’architecture et du patrimoine à la ville de Pontoise
« Au Moyen-Âge, Pontoise est l’une des rares communes du royaume à rendre à la fois une justice royale, communale et religieuse. En 1188, Philippe-Auguste, roi de France, lui octroie la prévôté royale. Cet acte confère au maire, désormais prévôt, le droit de rendre la justice sur le territoire de la ville. Mais dans la pratique, la justice municipale ne s’applique qu’à des affaires mineures : ivresse, rixe, vagabondage… À la fin du XIIe siècle, le roi met en place des baillis – agents chargés des affaires judiciaires sur le domaine royal – dont un de ses lieutenants siège à Pontoise. Pour les affaires religieuses, les Pontoisiens sont soumis à la juridiction de Rouen. Mais face aux mécontentements, Saint-Louis instaure, en 1255, un Grand Vicariat à Pontoise. Le vicaire est logé dans un bel hôtel particulier – l’actuel musée Tavet-Delacour –, tandis que le tribunal ecclésiastique, appelé l’Officialité, siège dans un bâtiment situé le long des remparts – aujourd’hui le Carré Patrimoine. Au fil des siècles, le système judicaire évolue, mais reste implanté à Pontoise. Cette présence presque millénaire en fait une véritable cité judicaire. »