La maison des Russes : l’esprit des lieux

Publié le 26 mai 2016

Au bord de l'Oise, une grande maison bourgeoise construite à la fin du 19e siècle a connu l'écho lointain des grands événements de l'histoire contemporaine… Avant de se tourner vers l'avenir en accueillant deux structures spécialisées dans l'insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Dans les années 1880, la Compagnie Générale des Carrières et Constructions, basée à Paris, fait construire une belle maison de 500 m2 sur 10 000 m2 de terrain, sur le chemin de halage au bord de l’Oise. Le tout à proximité d’une carrière qu’elle exploite, baptisée « la carrière à Pépin ». Mais la société fait rapidement faillite et, dès 1890, un autre entrepreneur en travaux publics – un certain Monsieur Bijou – rachète à la fois la carrière et la maison. Pendant toute la première moitié du 20e siècle, celle-ci ne fait guère parler d’elle.

Les traces de deux guerres mondiales
Les choses changent au lendemain de la seconde Guerre Mondiale. La grande histoire fait alors irruption dans la maison. En 1945, Zalman Chneerson, le grand rabbin de l’Association des israélites pratiquants de France, rachète la maison pour en faire un lieu d’accueil et d’apprentissage pour des orphelins juifs venus d’Europe et d’Afrique. Durant la guerre, le rabbin – né à Moscou en 1898 et venu en France en 1933 – a créé plusieurs foyers en zone Sud pour y mettre à l’abri des enfants juifs.

En 1950 la maison est en effet rachetée par l’Union générale des chauffeurs de taxis russes de Paris, afin d’y accueillir les chauffeurs âgés, mais aussi les vacances des membres de l’association. D’où le surnom qu’y gagne la maison. Mais pourquoi des taxis russes ? Parce que nombre de Russes – et notamment des nobles – qui ont fuit la révolution d’Octobre 1917 se sont reconvertis à Paris comme chauffeurs de taxi. La capitale en comptera jusqu’à 3 000, dont près de 80% d’anciens militaires de la Garde impériale. Dans les années cinquante, il restait encore environ 700 taxis russes à Paris, avec une moyenne d’âge proche de 65 ans…

Des vieux taxis russes aux jeunes en insertion
Dans les années 2000, il n’y a plus de taxis russes. Alexandra Ivanowsky – qui a hérité de la maison et en était devenue l’âme – se rapproche de la mairie d’Éragny pour trouver un repreneur. C’est finalement l’association La Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Val d’Oise qui accepte le legs en 2003.

Aux vieux chauffeurs de taxis russes vont donc succéder des jeunes en parcours d’insertion sociale et professionnelle. Après d’importants travaux de remise en état, la maison des Russes abrite désormais deux structures. L’espace Cesame accueille ainsi des jeunes en difficulté de 16 à 25 ans. À travers un parcours d’éducation aux sports, aux arts et aux métiers, il les aide à reprendre confiance en eux, à s’ouvrir et à trouver la voie d’une insertion dans le monde professionnel ou d’une reprise d’une formation qualifiante. Pour sa part, Incite développe des actions de formation en informatique multimédia, d’insertion professionnelle et de coopération internationale.

Grande & petites histoires

Olivier Brugial, chef de service de l’espace Cesame de La Sauvegarde du Val d’Oise

« L’histoire de la maison des Russes est marquée par l’esprit d’accueil. Afin qu’ils s’y inscrivent, on prend d’ailleurs toujours soin d’expliquer cette histoire aux jeunes parfois un peu déboussolés qui nous rejoignent après avoir été orientés par les missions locales ou des éducateurs spécialisés. L’emplacement est très pratique pour nos stagiaires, qui sont tous externes : nous sommes dans un poumon vert au cœur de l’agglomération, avec deux gares à proximité. C’est vrai qu’au début, il a fallu déployer beaucoup d’énergie, car le lieu n’était pas vraiment conçu pour nos activités et le bâtiment avait besoin de sérieux travaux d’adaptation et de remise en état. Mais plus les années passent et plus la magie du lieu se révèle. Avec Cesame – la première structure mise en place – La Sauvegarde propose un espace dynamique d’insertion pour des jeunes en recherche d’orientation. Il s’appuie pour cela sur des ateliers organisés en quatre pôles : technique, artistique, sport et culture générale. Chaque jeune peut ainsi découvrir ses points forts et ses points faibles, travailler sur lui-même et construire son projet d’insertion. Financé par la région, le département, l’agglomération et quelques fondations, Cesame est un lieu très ouvert, puisqu’une bonne partie des ateliers se déroule à l’extérieur, avec des intervenants spécialisés. Pour sa part, Incite, créée en 1997 et qui a rejoint la maison des Russes, met en œuvre des formations autour de deux ateliers d’insertion centrés sur l’infographie, le multimédia, la maintenance de matériel informatique… Elle accueille une centaine de personnes par an, orientées notamment par Pôle emploi. »